Depuis
la création des Forges De Wendel à Franchepré
en 1880/81, le commerce et l'artisanat n'ont cessé de se développer
dans les artères naissantes de la commune de Juf. C'est
tout d'abord sur le Chemin Vicinal N°3 menant du village à
l'usine, baptisé "rue du Commerce" en 1901,
où l'on voit progressivement s'installer de nouveaux commerces
et des débits de boissons. Entre 1882 et 1914, commerces alimentaires
et textiles doivent faire face aux besoins croissants d'une population
en constante et rapide augmentation. S'adaptant à l'urbanisation
un peu désordonnée de la cité industrielle, commerçants
et petits artisans installent leurs échoppes et leurs négoces
dans les artères principales de la ville, et plus spécialement
le long de la route départementale N° 11, dénommée
officiellement "rue de Franchepré" en 1901,
qui devient le centre commercial de la commune.
Au début du XXe siècle, la ville compte une multitude
de cafés, approximativement un commerce sur deux. Ce négoce
est souvent associé à une autre activité : coiffeur,
cordonnier, épicier, ... De nombreux tenanciers fournissent
également le gîte et le couvert à des locataires
ouvriers, pensionnaires dans des hôtels et des cantines.

En 1905, achèvement
des travaux aux "Galeries du Progrès" de M. MOREAU,
16 "rue de Franchepré". Les bâtisseurs prennent
la pose : Vincent PRALORAN (gros oeuvre), seconde personne en partant
de la gauche et François BEAUGRAND (serrurerie et ferronnerie),
debout, à gauche, au pied de l'échelle.
Après la Grande Guerre, de concert avec la reprise industrielle,
le commerce reprend vie et retrouve son élan de prospérité
brisé par l'occupation allemande et ses conséquences.
En 1924, on recense près de 200 commerçants et artisans
installés dans la cité. Plus de la moitié est
établie dans la "rue de Franchepré"
qui demeure une artère particulièrement animée
et attractive. Le nombre de cafés, en régression par
rapport à la "Belle Époque", atteint
tout de même 70 établissements. Avec l'arrivée
de la seconde vague d'immigration transalpine, on constate une montée
en puissance de la population italienne dans l'activité commerciale
: 60 Transalpins se sont lancés dans le négoce, surtout
derrière le comptoir d'un débit de boissons.

La
boucherie de Robert GHEZZI, 88 "rue de l'Hôtel de Ville",
en 1927. Le commerçant pose près de la camionette et
son épouse se tient sur le seuil du magasin.
Dans les années trente, en dépit de la crise économique
et de la grave récession industrielle, le tissu tertiaire jovicien
demeure assez dense pour une ville qui a perdu plus de 12% de sa population.
Selon une étude de 1936, Juf compte 10 boulangeries,
autant de boucheries et une soixantaine de commerces divers, dont
5 maisons de tissus et confections et 3 maisons de cycles. Il faut
ajouter plusieurs dizaines d'artisans et entrepreneurs (bâtiment,
transports), 3 pharmacies et 5 salles de spectacle (2 cinémas
publics et trois salles de bal). La Seconde Guerre mondiale, synonyme
de marasme économique et de pénurie grave et durable,
donne un coup terrible au commerce local.

Août
1933, Jean BAILLARD et son épouse Marguerite, portant sa fille
Monique, posent devant la devanture de leur épicerie au 52,
"rue du Commerce".
Après
la Libération et la fin du conflit, le rationnement et la cherté
de la vie demeurent des problèmes permanents jusqu'en 1949.
A plusieurs reprises les édiles joviciens appellent de leurs
voeux une politique énergique d'abaissement des prix et de
surveillance des commerçants qui profitent de la situation.
En février 1947, les élus décident d'agréer
des magasins-témoins, recommandés pour leurs efforts
contre l'inflation des prix.
Dans la décennie cinquante, en synergie avec le renouveau industriel,
l'activité commerciale locale entre de plein pied dans la société
de consommation née avec les "Trente Glorieuses".
Tandis que les chiffres d'affaires enregistrent une croissance exceptionnelle,
le commerce connaît une profonde mutation. La modernisation
concerne aussi bien l'aménagement spatial et la présentation
des négoces que les techniques de vente. Dès juin 1952,
la transformation des "Magasins Réunis" en
"Printania", commerce sans égal dans tout
le secteur, inaugure le premier magasin à rayons multiples
de la cité En 1956, le commerce jovicien comporte 196 points
de vente et génère 400 emplois. Sans véritable
rivale, la "rue de Franchepré" prend le premier
rang des centres commerciaux du bassin. Réactualisant des structures
associatives apparues à plusieurs reprises depuis le début
du siècle, les commerçants se fédèrent
en divers comités : "Groupement de sauvegarde commerciale",
"Syndicat des cafetiers", puis "Association
Franchepré-Bon Coin" et "Association des Commerçants
de Juf-Centre". Ces structures organisent des manifestations
afin de promouvoir leurs affaires. Campagnes de soldes, quinzaines
commerciales, organisation de services d'autocars gratuits sont autant
d'occasion d'attirer et de fidéliser la clientèle de
la cité et des villes voisines. Dans la presse locale, l'image
de "Juf, cité du Fer" se transforme
et devient "Juf, la commerçante". Et
la "rue de Franchepré" soigne sa réputation
: en fin d'année 1957, pour la première fois les commerçants
décident d'illuminer l'artère principale de la cité...
avec 25 guirlandes électriques. La qualité est également
à l'ordre du jour. Dans les années 50 et 60, Franchepré
reste la vitrine du bassin en matière de commerce de textiles
et de vêtements.
Évolution inéluctable de nos modes de vie et de consommation,
à partir des années 70, la création de trois
supérettes dans la ville, puis l'installation de plusieurs
supermarchés et hypermarchés dans un rayon de 10 à
15 kilomètres, portent un rude coup au commerce de proximité.
Les commerçants locaux doivent alors s'adapter pour survivre.
Prenant l'automobile pour aller remplir leurs caddys à Cora
ou Auchan - et visiter les galeries marchandes intégrées-,
les chalands de Juf et de la vallée délaissent
la "rue de Franchepré" qui, en moins de 15 ans, perd
une part importante de ses enseignes commerciales. La page est tournée
! "Juf, la commerçante" est aujourd'hui
un beau souvenir, elle est devenue un sujet d'étude pour l'historien.
Et
précisément, un siècle d'activités commerciales,
d'échanges de biens et de services entre individus ou sociétés
a produit de nombreux documents administratifs. Cela nous a légué
des traces assez variées : papier à entête, correspondances,
factures, bons de commandes, cartons publicitaires, réclames
insérées dans les journaux locaux et régionaux...
La presse quotidienne d'après-guerre permet aussi d'appréhender
les initiatives de regroupements commerciaux, et de retrouver les
diverses manifestations de promotion organisées par ces structures.
À ces divers "papiers", il faut évidemment
ajouter les nombreuses photographies montrant les commerces, les pas
de porte des magasins, le personnel. Réalisés durant
l'"âge d'or" de l'activité de ces établissements,
ces clichés représentent aujourd'hui de superbes témoignages
historiques des diverses périodes pendant lesquelles le commerce
jovicien était particulièrement florissant.
Dans cette rubrique, nous avons choisi de présenter un assortiment
varié de documents originaux émanant d'entreprises commerciales
et artisanales de Juf et de la vallée de l'Orne. La rubrique
pourra également s'enrichir d'historiques plus détaillés
de divers commerces, au fur et à mesure que nous aurons affiné
leur évolution spatiale et chronologique.
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