Lieux-dits
ancestraux ou activités d'autrefois, personnages historiques
ou figures locales, les noms de rues conservent souvent mystères
et curiosités, liés au choix de leur appellation. Éclairée
par les archives anciennes, l'histoire de la dénomination des
artères de la cité nous dévoile une image -certes
incomplète- mais intéressante du passé de Juf.
A la fin du XXe siècle, la guerre franco-allemande de 1870-1871
entraîne un éveil brutal et modifie la destinée
du petit village qui devient frontalier. Elle oblige les maîtres
de forges, Henri et Robert de Wendel, annexés à Hayange
et Moyeuvre, à créer en 1880 une nouvelle usine
à Juf, afin de récupérer le marché
français. Les Forges de Franchepré doivent produire des
rails en acier, grâce au procédé Gilchrist-Thomas
que les Wendel viennent d'acquérir. La mise à feu d'un
premier haut fourneau, le 11 mai 1882, donne un élan irrésistible
: la commune subit une métamorphose très rapide ; le Juf
moderne s'élabore à un rythme effréné, dicté
par l'essor de l'usine.
Dès l'implantation des Forges, MM. De Wendel décident
de construire une vaste cité ouvrière sur les terrains
du "Haut de Génibois". Dans ce quartier,
conçu selon un plan géométrique avec des rues se
croisant à angle droit, la voirie demeure entièrement
privée ; assez "pompeusement" baptisées
avenues, les artères desservant des blocs allongés de
huit logements portent les premières appellations officielles
du ban communal, utilisées par toutes les administrations. Respectant
à l'époque la hiérarchie au sein de la famille
des patrons, chaque nom d'avenue est soigneusement attribué !
D'abord, le "triumvirat" des gérants de la Société
Wendel et Compagnie occupe le cur de la cité de Génibois
: l'artère centrale s'appelle avenue
Saint-Théodore, en l'honneur du saint patron du baron
de Gargan, principal artisan de la fondation des forges et de la cité
ouvrière ; elle est flanquée de part et d'autre, des avenues
Saint-Robert et Saint-Henri,
prénoms des chefs de la famille.
Une route transversale, l'avenue
Saint-Maurice (en hommage à
Maurice de Coëtlosquet, oncle des Wendel et père de l'un
des principaux actionnaires de l'usine de Juf), sépare
les trois rues précédentes de leurs prolongements qui
adoptent le "parrainage" des épouses des gérants
: l'avenue Sainte-Alice
(d'Alice Espivent de la Villeboisnet, baronne de Gargan) fait face à
l'avenue Saint-Théodore ;
l'avenue Sainte-Berthe
( de Berthe de Corbel de Vaulserre, épouse de Wendel) prolonge
l'avenue Saint-Henri tandis que l'avenue
Sainte-Consuelo (de Consuelo Manuel,
épouse de Wendel) continue l'avenue
Saint-Robert. Aujourd'hui encore, quelques murs de la cité
conservent la trace de l'inscription originelle, réalisée
à la peinture noire dans un cartouche rectangulaire sur fond
blanc.
Pendant ce temps, le village "se contente" de numéroter
de 1 à 3 les chemins vicinaux qui mènent respectivement
à Homécourt, vers le moulin de Ravenne et vers la ferme
de Franchepré. Mais, en trente années à peine,
le village - qui compte 236 âmes en 1870 - se métamorphose
en une cité sidérurgique et minière de plus de
5000 habitants. Il faut pourtant attendre le nouveau siècle pour
que l'explosion urbaine engendrée par l'essor industriel oblige
les édiles joviciens à "baptiser" les
divers tronçons de la voirie communale.
Le 24 juin 1901, sous la présidence du maire Henri Wayant, onze
conseillers municipaux (sur 21 élus)adoptent la dénomination
officielle des huit premières rues. Cette décision doit
notablement améliorer les relations entre les habitants
Mais la pose de plaques indicatrices et le numérotage des maisons
constitue d'abord une bénédiction pour Charles Logut,
unique facteur de la ville ! Une délibération de1903 montre
bien que, dans une cité très cosmopolite, ce poste de
préposé n'est pas une sinécure : "La distribution
est très pénible par suite de la disposition des habitations
à Génibois et surtout par la difficulté à
lire les adresses des destinataires presque tous étrangers, avec
des noms compliqués à déchiffrer et impossible
à retenir(
)"