En
1901, lorsque les édiles dénomment officiellement Rue
de Franchepré le tronçon de la départementale situé
entre les Forges De Wendel et le Bon Coin (limite avec Homécourt),
cette artère compte déjà 103 maisons et héberge
plus d'un millier d'habitants. En l'espace de vingt années, elle
s'est métamorphosée en un pôle économique
et commercial, vital pour la commune : une destinée inattendue
pour une modeste route édifiée entre 1832 et 1841 et devenue
un cul-de-sac depuis l'annexion en 1871 ! Jusqu'en 1880, non pavée,
large de 8 mètres environ, la chaussée entre sur le ban
jovicien à la Croix de Franchepré ; elle parcourt ensuite
successivement les lieux-dits "Au Sa, Champ Chardon, Haut Goprès
et Côte des Chartreux", quittant le sol jovicien à
la "Côte de Tréchinville".
Et la rue de Franchepré naît de l'usine ! Avec le démarrage
du chantier des Forges et la construction d'un pont sur l'Orne (à
proximité du gué menant à la ferme de Franchepré),
les premières maisons "poussent" en bordure
de la départementale. Près du poteau frontière
où trône l'aigle impériale, la Croix de Franchepré
connaît une animation qui va aller crescendo jusqu'à la
Grande Guerre.
Dès l'été 1881, alors que les bâtisseurs
logent encore sur le site de la future usine, dans des baraques installées
au pied des structures des hauts fourneaux, à un jet de pierre
sur l'autre rive de la rivière, deux immeubles sortent de terre
! Le premier bâtiment en dur est le cabaret ouvert par François
Henry et son gendre François Husson ; le linteau surplombant
la porte d'entrée arbore le millésime 1881. Effectivement
ouvert en juin 1881, ce premier débit de boissons accueille
les ouvriers occupés à construire l'usine et ceux qui
vont travailler aux forges de Moyeuvre. Le cabaret se transforme assez
vite en Hôtel de la Croix de Franchepré (ancienne bibliothèque
municipale).
En octobre 1881, une vingtaine de mètres plus haut, Alexandre
Renac édifie une maison en planches et devient le second cafetier
de Franchepré ; les affaires s'avérant florissantes, un
immeuble en dur remplace rapidement la baraque provisoire dès
1884. Les cabaretiers exercent aussi l'activité de logeur ; en
1896, la maison Renac abrite les pionniers de l'immigration italienne
à Juf, des terrassiers attirés par les travaux d'extension
de l'usine. En décembre 1900, les époux Heller prennent
le café en gérance ; ils achètent la maison en
1906, l'agrandissent et transforment le modeste débit en un établissement
"chic" à l'enseigne de "la Croix de Lorraine"
(aujourd'hui bar le faubourg).
Le troisième débit, également installé
à la hâte dans une baraque en planches, est inauguré
par Marie Barandon, le 27 juillet 1882. Cette dernière cède
sa place derrière le comptoir aux époux Lefèvre-Bilquard
qui construisent un immeuble en dur en 1888, date figurant sur le
linteau du "Café de la frontière" (premier
débit installé sur le côté droit de la
route).
Le 14 août 1882, Nicolas Nicolas ouvre un nouveau café,
dix mètres au-dessus de chez Renac (actuellement garage Renault).
Aiguillonnés par le démarrage de la production aux Forges
et par la création du quartier de Génibois, les aubergistes
"montent à l'assaut" de la future rue de Franchepré.
A la frontière, l'animation et le passage deviennent tels que
la présence d'une brigade de douaniers s'impose. Construite
par MM. De Wendel en 1884, la Maison des douanes est louée
à l'administration ; le receveur et les 5 premiers douaniers
y emménagent dès l'année suivante.
Dès lors, l'"annexe" de Franchepré s'étoffe
rapidement, les espaces encore vides se comblent : 310 habitants occupent
19 immeubles en 1891 ; 39 maisons abritent 732 âmes en 1896. La
location de logements ou de garnis pour célibataires devient
une activité très lucrative et complémentaire des
divers négoces qui s'installent au plus près de la clientèle
de Génibois. A l'approche du XXe siècle, les caractères
urbains s'affirment : après un échec en 1893, commune
et département s'accordent en 1899 pour paver la chaussée
et établir des trottoirs ; le printemps 1900 y voit fleurir les
premières bornes fontaines, augurant de l'adduction en eau pour
toute la cité. La Belle Époque de Franchepré est
proche !