L
e 19 février
1906, les édiles joviciens dénomment huit nouvelles rues
de la cité. La réalisation imminente d'un dénombrement
de population leur impose de "rationaliser" l'urbanisation
galopante qui transforme sans cesse le territoire communal. Au premier
rang de cette seconde "vague de baptêmes", le
chemin vicinal n°5 (du chemin vicinal n°3 au chemin d'intérêt
communal 74) dénommé rue de l'Hôtel-de-Ville
doit, sans nul doute, susciter la fierté du maire Eugène
Bastien et de ses collègues.
En fait, la création de cette nouvelle artère constitue
l'aboutissement d'un projet
vieux de plus d'une décennie
! Depuis 1890, l'étroitesse et le caractère obsolète
des structures villageoises sont patents. Les locaux de la modeste mairie-école
sont insuffisants ; les étals des ambulants fréquentant
le marché hebdomadaire débordent largement de la petite
place située face au presbytère. Liant les deux problèmes,
les élus prévoient donc de créer une place plus
adaptée pour le déroulement du marché et, à
proximité, d'établir une nouvelle mairie-école..
Pour accéder à la future place, un espace est réservé
en bordure de la rue du Commerce ; ce futur embranchement se
situe en face d'un chemin privé ouvert à travers le lieu-dit
"la Corvée" par Joseph Martinand, industriel
propriétaire du moulin à scories de Ravenne. En même
temps, afin d'éviter que les lourdes locomotives routières
venant de l'usine à scories n'empruntent les rues étroites
du village, il est prévu de continuer le chemin Martinand jusqu'à
la rue des Cités
projet très vite "prolongé"
jusqu'au Boulevard des Italiens. Les élus souhaitent avancer
rapidement et, en février 1899, ils votent 18000F pour financer
l'achat des terrains et les travaux : "Cette voie de la plus
haute importance doit être achevée pour la fin de l'année!".
Une commission est créée en 1900, pour discuter avec les
propriétaires des parcelles traversées. Hélas,
l'appétit de ceux-ci ne facilite pas l'opération ! Aucun
n'accepte la cession à l'amiable, malgré une offre raisonnable
de 150F l'are ; la commune a donc recours à la procédure
d'expropriation pour cause d'utilité publique. Sept propriétaires
reviennent sur leur décision et acceptent le prix offert, mais
les six autres ne cèdent qu'au terme des formalités judiciaires.
Une bonne année est perdue ; établie par l'entreprise
Estrade d'Homécourt, d'une largeur de 10 mètres, la chaussée
est ouverte en 1902. Elle est immédiatement "agressée"
par les routières de Martinand qui labourent la voirie et écrasent
les canalisations en maçonnerie. Ce trafic exceptionnel et l'état
lamentable de la route retardent à coup sûr les constructions
d'immeubles en bordure de la rue baptisée rue de l'Hôtel-de-Ville,
avant même l'existence effective de l'édifice public (achevé
au printemps 1907 seulement). Profitant de ce répit, la mairie
estime qu'il y a lieu de dresser un plan d'alignement afin de prévoir
un élargissement futur. Aussi, la délivrance des permis
de construire est-elle subordonnée à la cession par le
propriétaire d'une parcelle permettant de porter la chaussée
à 12 mètres de largeur.
Les élus soignent donc tout particulièrement cette réalisation
urbaine, la seule qui procède vraiment de leur seule initiative.
Pour Eugène Bastien -qui achève un projet initié
par Henri Wayant-, "cette voie est destinée à
devenir la rue centrale de Juf ,la liaison directe du centre de
la commune avec Homécourt". Quelques constructions sortent
de terre le long de la rue élargie à partir de 1905 (maisons
Yong, Praloran, Fischer) ; on profite des travaux pour réaliser
trottoirs et égouts. Entre 1907 et 1910, les maisons bordent
çà et là le tronçon jusqu'à la rue
des Cités. Dans une seconde période, entre 1911 et 1914,
quelques immeubles plus importants viennent "achever"
le carrefour des Quatre Coins. Après la Grande Guerre,
une autre vague de construction viendra peaufiner l'aspect de la rue
("villas" caractéristiques dues à la
"Loi Loucheur", notamment).Aujourd'hui, en parcourant
la rue, le promeneur attentif et curieux peut encore observer les diverses
strates de cette histoire urbaine, découvrir plusieurs édifices
qui arborent des emprunts à l'Art Nouveau et conservant sculptures,
boiseries ou ferronneries, témoignages architecturaux de l'époque
qui a vu la naissance de cette belle réalisation municipale.