Lors
de la séance du 19 février 1906, les élus joviciens se penchent sur
les artères de la cité qui n'ont pas encore de dénomination. D'abord,
ils actualisent une modification importante du patrimoine communal.
Tandis que les enfants de l'école communale "patientent" dans
le bâtiment des Cités Basses loué à MM. De Wendel, la maison commune
s'installe dans le bel immeuble de l'Hôtel de Ville. Au village, la
Place de la Mairie change d'appellation. Après s'être dénommée "rue
Vieille", le temps d'une rature sur le registre des délibérations,
elle devient "rue de l'ancienne Mairie", annexant du même coup
l'étroite ruelle menant vers les jardins appartenant à la famille Pérignon.
Aux confins du ban communal, la route qui mène à la frontière n'a pas
encore de nom. Or, depuis 1899, la construction de l'usine d'Homécourt
a déclenché l'urbanisation de ce chemin, partagé en son milieu entre
les communes de Jœuf (côté gauche) et Homécourt. La première baraque
en planches pousse en 1899 au bas de la pente : c'est une cantine qui
abrite des terrassiers italiens. Et, la rue naissante connaît la même
évolution architecturale que le proche Boulevard des Italiens. En l'espace
de 5 années, 6 autres bicoques en planches, à transformation rapide
et souvent illégale, jalonnent la côte. En 1906, la rue abrite 150 individus
dont 16 Français. Il est grand temps de régulariser ! " De la route
départementale à la frontière (soit le prolongement du chemin 137) :
Rue de la Taye ", décident les édiles qui reprennent simplement
les anciens lieux-dits cadastraux : "Taye le Noir" à Jœuf et
"Té le Loup" Homécourt. Sans différencier les deux villes, le commissaire
spécial de Briey décrit la rue en octobre 1906 : " Elle comprend en
tout 12 maisons dont 2 convenables, 8 masures et 2 cabanes en bois.
Sur ces 12 maisons, on compte 10 auberges et 2 maisons particulières(…)Les
habitants, Italiens pour la plupart, travaillent plus ou moins régulièrement
ou ne travaillent pas." Le fonctionnaire préconise des contrôles fréquents
et même des expulsions, pour assurer la sécurité de l'artère la plus
animée du territoire communal …et connue jusqu'au ministère de la Guerre,
à Paris ! A deux pas de la frontière, - "Royaume de la côte"
romancé par P. Fritsch-, la Côte de Montois mène une vie marginale et
attire des visiteurs de toute la région et du pays annexé. Déferlant
par bandes de 100 à 150, les ouvriers italiens viennent se divertir
ou s'encanailler au "Café du Simplon", au "Tivoli", au
"Café du Nègre" ou dans l'un des huit autres établissements qui,
souvent, changent d'enseigne selon la région d'origine du propriétaire.
A partir de 1906, des édifices en maçonnerie ont remplacé certaines
cantines en bois. Abritant toujours 149 personnes en 1911 (dont un seul
Français et 71% de Transalpins), la rue attire aussi l'attention des
sociologues et des journalistes parisiens : "Elle est, pendant plus
de 500 mètres, bordée de ces établissements où viennent se distraire
et s'empoisonner les prolétaires de la mine(…)Comment des ouvriers ardents
et voluptueux, résisteraient-ils à tant de tentations ? Tous les amusements
de music-halls de bas étage s'y donnent rendez-vous, toutes les formes
de bals populaires y sont représentées. Ici, j'aperçois deux jeunes
hommes dansant ensemble au son de l'éternel accordéon. Plus loin, dans
une salle mieux achalandée, mugit un orchestre de 3 ou 4 musiciens sur
un tréteau. Ailleurs, c'est un théâtre de marionnettes dominant des
consommateurs attablés qui se querellent en jouant à la morra. Partout,
une ou plusieurs danseuses en costume criard valsent avec le client,
ou attendent, l'œil provocateur, sur le pas de la porte." On ne
peut s'étonner si, en 1912, les édiles s'alarment de la prolifération
des "filles d'auberge" et adoptent une réglementation de la prostitution.
C'est donc au 41 rue de la Taye que la commune ouvre un dispensaire
pour assurer les visites hebdomadaires obligatoires des "demoiselles".
Cette initiative satisfait les autorités allemandes qui considèrent
que le voisinage de la France est responsable de la dégradation des
mœurs et que la syphilis qui touche les ouvriers italiens de Lorraine
annexée vient de Jœuf - Homécourt. Jusqu'en 1914, la Côte de Montois
reste un lupanar renommé !