Proche
de la rue de Franchepré, les deux dernières rues baptisées le 19 février
1906 sont des impasses, nées de l'initiative privée. "Le chemin particulier
de Pierre Combaudon : Rue d'Arly". Au lieu-dit "Les Champs Chardon",
sur un petit chemin menant aux bois de "La Côte d'Arly", l'entrepreneur
Combaudon édifie, en 1898, trois maisons de type "cité". Différentes
du modèle de la Maison De Wendel, les bâtisses à un étage se caractérisent
par leurs ouvertures encadrées de briques rouges. Dès 1901, une population
majoritairement italienne loge dans ces habitations, terrassiers et
maçons employés par l'entrepreneur en bâtiment. En 1906, deux autres
unités sont en construction : il est temps de dénommer le chemin. L'italianité
des lieux est confirmée : sur 79 individus recensés, 9 Français cohabitent
avec 64 Transalpins, largement majoritaires parmi les étrangers. Et
l'urbanisation se poursuit : un peu plus loin, en 1907, le maréchal
ferrant Adrien Strasser fait édifier deux maisons. Enfin en 1912, de
gros immeubles de deux étages à usage locatif bordent l'extrémité de
la rue. A cette date, les Italiens représentent toujours 82% des habitants.
Mais l'extension doit s'arrêter là ! En février 1907, en effet, MM.
De Wendel ont acquis toute la parcelle de la Côte d'Arly afin de pouvoir
établir un raccordement ferroviaire entre les Forges et le terminus
de la gare d'Homécourt. "Le chemin particulier de Julien Nicolas
: Rue du Sa". Chemin en cul-de-sac ouvrant sur la route départementale,
la rue emprunte son nom au vaste lieu-dit cadastral, bordant la partie
est du ban communal. Ce sont des parcelles de bonnes terres labourables,
situées de part et d'autre de la départementale. L'étymologie du nom
Sa reste obscure ! Nom de la petite rigole qui dévale la côte d'Arly
et parcourt cette section avant de se jeter dans le ruisseau d'Arly
ou autre origine? On peut remarquer que sur les plus anciens documents
cadastraux datant de 1807, le mot Sa ne comporte pas l'accent circonflexe,
ajouté par la suite et devenu "officiel" aujourd'hui. La naissance
de la rue relève d'une véritable opération immobilière menée par Julien
Nicolas (restaurateur, puis transporteur) sur des terrains acquis à
son arrivée à Jœuf, en 1883 au début de l'essor industriel. Promoteur
entreprenant, il viabilise le chemin pour donner une plus-value aux
parcelles qu'il met en vente. Lotisseur avisé, en 1905, il négocie avec
la commune l'adduction d'eau pour ses clients bâtisseurs ; l'histoire
nous apprend qu'il est particulièrement qualifié pour ces démarches…en
tant que second adjoint au maire, ayant, depuis juillet 1904, délégation
de pouvoir pour tout ce qui concerne l'étude et la surveillance des
travaux. En échange de la récupération du coût d'installation de la
conduite d'eau, il s'engage à céder gracieusement la voirie, dès qu'il
y aura 5 concessionnaires. Ces conditions sont largement remplies en
1907 (avec 14 branchements). Contrairement à une idée reçue, la rue
du Sâ ne connaît pas la construction de baraques-cantines italiennes.
Les clients de J. Nicolas sont des ouvriers des Forges ou des particuliers
souhaitant investir dans l'immobilier locatif. Aussitôt le terrain acquis,
MM. Barret, Martinois, Royer, Noël, Villain et Perlini (seul transalpin
constructeur) font édifier, par les entrepreneurs locaux, des immeubles
en dur, comportant au moins des combles mansardés ou parfois un second
étage. La rue devient le royaume du "garni", de la sous-location
et de la pension chez l'habitant ; elle est souvent un point de passage
providentiel pour l'immigré italien, qui trouve gîte et couvert chez
un "pays". La petite "Italie" connaît un entassement impressionnant
! En 1906, 10 maisons abritent 33 ménages totalisant 276 personnes et
222 Italiens. Dans des logements de 2 à 4 pièces vivent parfois 15à
25 individus, dont les 4/5 sont des pensionnaires célibataires, employés
dans les mines, les usines ou par les entrepreneurs de travaux publics.
La situation reste identique en 1911 : 568 habitants dans 16 maisons
et toujours 420 Italiens pour 53 Français. Entre 1908 et 1912, la rue
se pare de 4 cafés…italiens, qui sont aussi des pensions : Café du Bois(
chez Scopel), Café de la Tripolitaine (Tanzi), Café Bresciano (Silistrini)
et Café Turrin. Au lendemain de la Grande Guerre, avec la seconde grande
vague d'émigration, l'italianisation de la rue devient quasi absolue
: 424 Transalpins sur 463 habitants. Pour longtemps, la rue du Sâ reste
un bel exemple de creuset migratoire "à la jovicienne" ainsi
qu'un haut lieu de l'épopée sociale de la cité.