AVANT-PROPOS
En
refermant le manuscrit de "Si Jœuf
m'était posté...", nous pensions avoir traité
la période la plus "glorieuse" de notre ville.
La métamorphose, en l'espace de quarante années, du village
en cité industrielle, le surgissement des usines, des rues et
des quartiers sur les prairies et les champs marquaient la naissance
de la sidérurgie à Jœuf.
Pour conter l'essor de ce Jœuf
"moderne", les documents écrits et iconographiques
ne manquaient pas. Les magnifiques cartes postales éditées
au début du siècle ont illustré notre propos, étayé
par les archives municipales et la presse d'époque. Le bon accueil
réservé à l'ouvrage, la demande des lecteurs constituèrent
autant d'encouragement à poursuivre l'étude de l'histoire
de Jœuf
au XXe siècle. Quelques personnes nous proposèrent trop
tard, des photographies qui auraient mérité de figurer
dans "Si Jœuf…"!
La découverte de nouveaux documents a avivé nos regrets.
Nous étions face à un nouveau challenge, la reprise des
recherches était à l'ordre du jour.
A peine abordée, dans un
court chapitre, la Grande Guerre vient conclure le précédent
ouvrage comme un point d'exclamation. Une page se tourne ; le conflit
marque le terme d'une ère de développement, la fin de
la "Belle Epoque". Le récit complet de cette
période douloureuse de l'histoire de la cité restait
à faire. L'excellent livre de Luc DELMAS sur le Jarnisy "Visage
d'une Terre Lorraine occupée" nous a servi d'exemple
et incité à mieux connaître les épreuves
des Joviciens durant les 52 mois de guerre.
Le projet initial devait en un volume, nous conduire jusqu'en 1939.
Présenter la guerre et ses conséquences (la reconstruction,
le redémarrage des activités industrielles, le poids du
souvenir…) permettait également d'évoquer la vie
quotidienne, la renaissance des associations, les nouveaux affrontements
sociaux et idéologiques. En fait, si les années d'avant
1914 ont présidé à l'édification urbaine,
à la restructuration du paysage, la guerre arrête le processus
et bouleverse tout. La période suivante voit une nouvelle organisation
humaine et sociale de la cité : arrivée aux affaires des
combattants, parachèvement du paternalisme, développement
des syndicats, confrontations et mélanges accrus des nationalités
et des cultures.
Le problème majeur était la quête des illustrations
: elle promettait d'être longue ! Les photographies existaient,
disséminées dans les albums, les tiroirs et les greniers
des familles de Jœuf
demeurées sur place ou exilées. Si certains documents
présentés viennent de Belgique et des Etats-Unis, nous
n'avons, hélas pas réussi à "rapatrier"
les cartes et photos expédiées en Allemagne par les occupants.
Notre ambition restait la réunion de tous ces documents épars
et de constituer l'Album des familles de la cité.
La positivité des premiers contacts
nous a encouragés à poursuivre notre tournée ;
la consultation des archives de M. NOIRÉ nous a permis de gagner
du temps, mais il manquera toujours les photos détruites ou oubliées
dans quelque mansarde. Il nous faut remercier tous ceux qui ont ouvert
leur porte et leurs archives et nous ont accueillis avec gentillesse
et chaleur. Certains, se piquant au jeu, sont devenus chercheurs et
ont permis d'enrichir le fonds documentaire. Ensemble, nous sommes fiers
de présenter aux Joviciens leur histoire et leur album de familles.
Face à la pléthore de documents, d'archives à dépouiller,
considérant le nombre de témoignages à exploiter,
de faits à retranscrire, le projet s'est vite scindé en
deux volumes. La richesse et la diversité des sources réunies
(déclarations de réfugiés, rapports administratifs
français et allemands, enquêtes officielles, presse, journaux
inédits rédigés par des Joviciens…) nous ont
vite convaincus que le récit de la Grande Guerre méritait
d'emplir les 360 pages du présent volume. Nous n'avons pas voulu
négliger le caractère "vécu" et
la sensation d'authenticité de témoignages oraux recueillis
auprès de Joviciens, alors enfants, mais conservant, 70 ou 75
ans après les faits, des souvenirs d'une fraîcheur et d'une
précision étonnante. Après confrontation et croisement
avec les sources écrites, des extraits de ces récits figurent
en bonne place dans l'ouvrage. La reproduction intégrale des
textes parfois très long pouvait gêner la cohérence
du propos ; tout passage dont la source n'est pas expressément
indiquée représente une synthèse appuyée
sur des données irréfutables, un résumé
de plusieurs témoignages réunis au cours de nos recherches.
L'énumération chronologique
trop sûrement fastidieuse a été écartée
au profit d'une redistribution par thèmes dans les différents
chapitres. Si nous avons légitimement privilégié
les événements joviciens, le caractère régional
de la situation, le destin similaire des populations voisines nous
ont conduits à élargir notre regard vers les autres
cités de la vallée de l'Orne. Envahies avant même
le début des hostilités, ces agglomérations ouvrières
demeurent occupées pendant toute la durée de la guerre.
(1)
Pour les habitants, l'histoire de cette sombre période n'est
pas seulement celle des hommes partis rejoindre leur régiment,
celle des valeureux Poilus qui luttent dans les tranchées, tombent
héroïquement au champ d'honneur ou reviennent atrocement
mutilés (ces récits glorieux, le souvenir du sang versé
par les enfants de Jœuf
seront d'actualité durant de nombreuses années après
l'Armistice…).
L'histoire de Jœuf,
d'août 1914 à novembre 1918, est d'abord celle d'une
population civile abandonnée, livrée à elle-même,
sans nouvelles des absents. Pour ces non-combattants, prisonniers
à l'arrière du front allemand, dans une région
promise à l'annexion définitive en cas de victoire des
armées du Kaiser, le mot d'ordre ne peut être que : survivre
! Pendant 52 mois, la satisfaction des besoins les plus élémentaires,
se nourrir, se vêtir et se chauffer, constitue l'activité
principale qui régit la vie quotidienne. A cette existence
de misère, s'ajoutent les rigueurs de l'occupation : amendes,
spoliations, travail obligatoire, arrestations. Il faut subir la loi
du plus fort… ou partir. L'histoire des Joviciens, des Homécourtois…,
c'est enfin celles des exilés qui, abandonnant tout, partent
en convois et, jusqu'à la fin des hostilités, demeurent
réfugiés, assistés, dans différentes régions
de France de l'intérieur.
Ces quatre années de souffrance,
d'exode, de morts qui ont bouleversé des destinées et
marqué plusieurs générations de Joviciens ne devaient
pas s'estomper et glisser doucement dans l'oubli. Comme le dit l'historien
lorrain Lucien FEBVRE "L'Homme ne se souvient pas du passé,
il le reconstruit…". Nous apportons ici notre modeste
contribution à l'histoire locale, matériau indispensable
à la construction de l'histoire générale
(1) Pratiquement dès le début des combats, les 4 communes
de Jœuf, Homécourt, Auboué et Moutiers constituent
un univers clos dans lequel les habitants sont tenus prisonniers.
L'administration allemande entérine cette situation originale
en 1915, lorsque les 4 cités sont soumises à l'autorité
directe du Gouverneur de la forteresse de Metz, alors que le reste
des territoires envahis est placé en partie ou en totalité
sous le contrôle strict des troupes occupantes (comme l'autorité
allemande, nous utiliserons parfois l'expression "Les quatres
communes" pour désigner l'ensemble des 4 villes ci-dessus).